Le problème n’est pas de se situer à un endroit particulier mais surtout de se rendre audible et compréhensible. Toute la difficulté est d’expliquer des choses relativement complexes de manière à être entendu, parce qu’il est évidemment beaucoup plus simple, devant la complexité, de réduire l’explication à quelque chose d’extrêmement simpliste et d’évoquer une conspiration, un complot fomenté par tel ou tel groupe responsable, les Juifs, les francs-maçons ou que sais-je encore. Ces arguments-là tiennent en trois mots et sont infiniment plus faciles à présenter que de tenter une explication détaillée qui prend du temps, qui nécessite de remonter le courant, d’étape en étape, jusqu’à rendre les arguments plus compréhensibles. Cela prend du temps. Dans mes livres, j’essaie de donner les explications les plus simples possibles sur des phénomènes assez compliqués en finance. Si je veux expliquer pourquoi un CDO synthétique est une escroquerie, je dois d’abord expliquer ce qu’est un CDO (Collateralized-Debt Obligation), ce qui nécessite d’expliquer ce qu’est un ABS (Asset–Backed Securities) sur lequel portera le CDO, il faut également expliquer ce qu’on entend par « synthétique », et il n’y a pas moyen de faire ça en moins de trois ou quatre pages. C’est le problème. Par exemple, l’une des plus grandes escroqueries de la banque Goldman Sachs consistait en un CDO synthétique, mais cela ne s’explique pas en accusant les Juifs, les francs-maçons, le Bilderberg ou en mobilisant les Protocoles des Sages de Sion.
Le problème, c’est que pour faire accepter une explication en termes de structures plutôt qu’en termes de groupes ethniques, il faut absolument faire baisser le niveau d’émotion. Parce que si le raisonnement est soutenu en arrière-plan par l’émotion, cela devient difficile. Une neutralisation de l’affect est nécessaire pour pouvoir expliquer et comprendre une explication en termes de CDO synthétique ; il faut donc pouvoir calmer une certaine rage spontanée, accepter de s’asseoir et d’écouter une explication qui va prendre un certain temps. Cela ne relève pas de l’intuition ou du « c’est évident que », au contraire, l’analyse est indispensable. Le problème que l’on rencontre le plus fréquemment avec un blog comme le mien, c’est qu’on est en permanence en concurrence avec des explications simplistes. Et, tragiquement, on peut observer des discours d’extrême-droite qui sont en train d’envahir l’extrême-gauche qui les reprend souvent de façon non critique, dans un processus de surenchère. C’est évidemment tentant, d’autant plus quand vous avez, par exemple en France, le Parti de Gauche et le Front National qui se trouvent en concurrence sur le même électorat. C’est bien entendu plus difficile pour le Parti de Gauche de venir auprès du public avec des explications compliquées sur la situation économique que pour le Front National qui mobilisera ses discours simplistes habituels, c’est-à-dire un amalgame total par lequel aucune explication ne sera possible puisqu’on fait l’économie justement de la moindre explication.
Un autre problème, c’est que les gens qui s’opposent au système tel qu’il est auraient besoin d’avoir une expérience de banquier. Mais vous trouverez difficilement un banquier qui s’opposera au système. Toute la difficulté est donc d’acquérir une expertise de la banque et de la finance et de l’utiliser pour proposer autre chose. Or ce savoir-là n’est pas accessible facilement. Malheureusement, les partis socialistes européens, le Parti de Gauche en France, le parti Nouvelle Donne qui remplace en France le mouvement Roosevelt 2012, semblent inconscients du fait qu’ils ne maîtrisent pas le savoir financier alors qu’une telle connaissance leur est en réalité indispensable. Ils ignorent comment cela fonctionne dans une banque et, du coup, proposent des mesures qui, de mon point de vue, ne prennent pas les questions suffisamment en amont, et seraient du coup sans effet au cas même où elles seraient adoptées.
PAUL JORION
subitamente reparo que nunca li o banqueiro anarquista...será que algum dia o lerei?
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