En attendant le tour de la Grèce, retardé le plus possible parce qu’encore plus dérangeant, le Portugal est de retour sur la sellette, n’ayant comme perspective que de suivre la même pente après avoir été longtemps présenté comme le bon élève de la classe. La Troïka a entamé sur place un nouvel examen des résultats du programme de rigueur, reporté étant donné la crise politique, tandis que le vice-premier ministre en charge du dossier, Paulo Portas, réclame un assouplissement de 4% à 4,5% des objectifs de réduction du déficit fin 2014, déjà demandé mais pas obtenu après deux assouplissements successifs, en septembre de l’année passée et mars dernier. « Il faudra qu’on nous explique comment on va pouvoir passer d’un déficit de 5,5% en 2013 à un déficit de 4% en 2014 » s’est interrogé Antonio Saraiva, le patron des patrons portugais. Tenir l’objectif de fin d’année de 5,5% n’est même pas garanti.
Anibal Cavaco Silva, le président, est intervenu de manière inaccoutumée pour demander à la Troïka de « faire preuve de bon sens ». A la clé, le déblocage d’une tranche de crédit de 5,5 milliards d’euros. Le retour sur le marché du pays, prévu pour juin 2014, apparaît de plus en plus compromis, le taux à 10 ans de la dette du pays atteignant un insoutenable 7,4%, se rapprochant de son niveau de juillet dernier au plus fort de la crise politique. Comment, dans ces conditions, se présenter sur le marché pour emprunter afin de commencer à rembourser les 78 milliards d’euros d’aide au total accordées par l’Union européenne et le FMI, les banquiers publics du pays ? Afin d’éviter l’affichage politique désastreux que représenterait un nouveau plan de sauvetage, un habillage pourrait être trouvé sous la forme d’une ligne de crédit.
Les élections municipales du 29 septembre vont être un test aussi bien pour les partis au pouvoir, le PSD et le CDS-PP, que pour le parti socialiste qui aspire à vite y revenir. Une autre échéance approche : la présentation et l’adoption du budget 2014 le mois prochain. Mais les marges de manœuvre gouvernementales sont très réduites, le Conseil constitutionnel ayant une nouvelle fois retoqué des mesures d’austérité, la tension dans le pays très perceptible après de nouvelles coupes de 10% dans les retraites des fonctionnaires décidées pour y suppléer. Côté Troïka, la fermeté est de rigueur, exprimée par le président de la commission, le portugais José Manuel Barroso, ainsi que par Jeroen Dijsselbloem, le chef de file de l’Eurogroupe. Le FMI n’a pas encore publiquement fait part de son souhait d’un assouplissement.
La zone euro peut-elle se permettre une seconde Grèce ? Les tensions sur la dette souveraine portugaise ne risquent-elles pas d’entraîner une hausse des taux affectant l’Italie et l’Espagne ? Mario Draghi, le président de la BCE, n’a pas évoqué ces questions lors de la conférence qu’il a prononcée lundi devant la fédération de l’industrie allemande, mais il a estimé que « la reprise n’en est qu’à ses balbutiements ». Il a ensuite identifié l’innovation et l’investissement comme facteurs d’amélioration de la compétitivité, ne se contentant plus de la désormais classique diminution du coût du travail. Ajoutant, à l’intention des exégètes inspirés : « je ne vois pas la compétitivité comme une course entre les pays de la zone euro avec ses gagnants et ses perdants ». Venant après ses déclarations de grande prudence concernant la conjoncture, cette intervention marque une inflexion pouvant être rapprochée à la fois du ralentissement des achats de titres de la Fed, qui devrait être prudemment annoncé mercredi prochain, et de la publication par Eurostat du dernier chiffre de l’inflation en zone euro, en forte baisse à 1,3% en août dernier contre 1,6% en juillet (il était de 2,6% en août 2012). Mais ce ne sont que des paroles verbales !
Les dirigeants portugais n’ont pas encore assimilé que c’est seulement lorsqu’ils sont le dos au mur que leurs interlocuteurs s’engagent sur les chemins qu’ils avaient juré ne jamais emprunter, et qu’ils accordent des accommodements qui appelleront d’autres rallonges ultérieures… Ce qui ne fait toujours pas une politique mais continue de plonger des populations entières dans la précarité. Encore bravo !
(François Leclerc, no blog de Paul Jorion)