Notre rejet instinctif de la corruption est tout ce qui reste d’un autre monde, en voie de disparition, où s’affirmait l’indépendance de la sphère politique. (…) La corruption n’est qu’un mot archaïque par lequel les nostalgiques d’un autre temps désignent avec aigreur l’inévitable valorisation de la puissance relationnelle. La transaction est consacrée comme seule vérité de notre âge, et toute demande solvable est une demande légitime. Comment ne ferions-nous pas du veau d’or la vérité suprême ?
La multiplication des scandales d’argent dans les grandes démocraties n’est donc pas une anomalie, mais la conséquence logique du triomphe de la seule universalité qui nous reste, celle de l’argent, mesure de la réussite individuelle comme de celle des sociétés, étalon commun qui permet d’établir une communication immédiate avec nos « semblables », semblables par la révérence qu’ils partagent pour le veau d’or, enfin offert à l’admiration, sinon à l’appropriation de tous.
(Jean Marie Guéhénno, La Fin de la démocratie, 1993)
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